Interférence


 Je pense au suicide. Je n'y pense pas comme une option aimable qui me soustrairait à mes obligations, pas même comme une forme de revendication libertaire. J'y pense parce qu'il n'y a rien d'autre à quoi penser quand la nuit creuse son sillon dans mon cerveau. La campagne autour de la maison est calme, d'un calme suspect, un peu comme quand le ciel est chargé entre deux averses. On se dit que cette fois, on va y échapper, que le soleil va finir par faire taire les murmures à l'intérieur de soi. On pense à son roman de merde qui n'avance pas parce qu'on est aliéné à son travail alimentaire et à ses enfants, et pour finir on ne pense à rien d'autre. On s'éloigne doucement de la personne qu'on aime parce que le couple, c'est l'exil - on ne s'éloigne pas de soi, c'est déjà fait depuis longtemps. 

Mes rares amis ont l'air détendu quand ils parlent de leurs enfants. Sur les trois pères de mon cercle proche, aucun n'a l'air dévoré par l'angoisse, ou alors les parades qu'ils emploient pour n'en laisser rien paraître sont efficaces. Quand j'observe cela, je me demande à quel moment j'ai merdé. Ma psychothérapie me fait une belle jambe. J'en blague, mais ça m'a aidé à ne pas mourir ces six derniers mois. Personne ne m'aime. Je ne demande pas beaucoup d'amour, simplement qu'on m'aide à souffler sur la braise de mon cœur pour le faire redémarrer. Rien. Nuits de solitude complète, de solitude nue, inférieure au fait d'être avec soi. Cauchemars récurrents, visions d'ultra-violence imprimées dans ma rétine au réveil. Créatures hideuses qui me dévorent et se dévorent. Couloirs sans fin d'établissements psychiatriques que je ne quitterai jamais. 

Penser au suicide en soi, comme une théorie de la mort et une spéculation sur le sens de la vie, est une ineptie. Cela reviendrait à parler de Pac-Man sans y avoir jamais joué. Toutes les parties de Pac-Man sont différentes, et tous les suicides sont différents. La seule chose dont je puisse parler, c'est ce que je ressens ce soir. Je suis fatigué de lutter et l'amour que j'éprouve pour mes filles n'est plus suffisant. Je suis fatigué d'avoir l'impression d'être le seul con sur terre à se remettre en question, je suis fatigué d'avoir les deux genoux dans la boue. Je ressens une solitude millénaire, qui doit avoir sa source dans l'agencement délicat des étoiles. Je vais boire une dernière bière et aller au lit.

 

 


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