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Affichage des articles du novembre, 2020

Amours Perdues

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  Pour Charlotte   Depuis dix minutes, je fais des cercles en skate sur le parking du Super U et j'entends cette bagnole qui ne veut pas démarrer. Je m'approche. Je vois la jeune fille dans sa Seat hors d'âge. Elle a des traces d'acné sur les joues, ces vilaines balafres d'une adolescence de merde, et elle pleure. Je lui propose de l'aide. Je m'installe au volant. L'intérieur sent comme ma première Clio, un mélange de tabac froid, de sandwichs industriels et de modestie. J'essaye de mettre le contact. Rien. J'essaye à nouveau. Quelques voyants s'allument sur le tableau de bord, dont celui de la batterie. Le démarreur fait le bruit d'un chaton qu'on a foutu dans un sac de jute pour le balancer dans la rivière, alors je me tourne vers elle. "J'y connais pas grand chose mais c'est sûrement la batterie. Vous avez une assistance ou un truc dans le genre avec votre assurance ? " Elle tente de masquer son désarroi et d'

Planche de salut

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  Qu'est-ce que la dépression nerveuse ? On a tous une personne dans notre entourage qui a été diagnostiquée avec cette merde. La plupart du temps, on regarde le truc avec une distance polie. Après tout, il n'y a aucune raison pour que cette personne mente et soit simplement fainéante. En même temps, on ne la comprend pas bien, on la voit agir de façon stupide et échafauder des drames à partir de rien. On aimerait lui vouer de l'amitié mais rien ne sort à part des phrases creuses. Son état est un truc aussi lointain que Saturne - aucun gouvernement ne claquerait des milliards pour atteindre cet avant-poste dans le néant. Je skate et je voudrais parler de l'effondrement. Je voudrais parler de ce moment où rien ne tient à l'intérieur de soi. Je n'ai pas tiré beaucoup de leçons de ma dépression et quand j'en ai tiré, j'étais trop bourré pour m'en souvenir le lendemain. Au plus fort du vent, je me terrais à l'intérieur de moi. L'autre, de façon g

The games you play

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  Je regardais ma planche depuis plusieurs jours. Je l'avais essayée cinq minutes sur la terrasse mais je voulais aller sur la route. Il y avait là comme un romantisme un peu rance : je m'imaginais rouler avec aisance dans le couchant en écoutant du Minor Threat. J'étais conscient que mon corps ne suivrait pas. Au plus fort de la dépression et de son traitement, j'avais pris 25 kilos, passant de 59 à 84. J'avais par la suite maigri - je m'établis aujourd'hui autour de 78 kilos, avec un sacré ventre à bière. Il aurait été illusoire d'imaginer claquer un ollie à la première séance. Mes rares poussées sur la planche m'avaient montré que je n'avais même plus le sens de l'équilibre. Je luttais pour tout, être un père acceptable, un mari acceptable, un libraire acceptable, et rien ne me donnait raison. Tout en moi puait la défaite, et j'avais l'impression que même le dragon peint sur Etoile se moquait de moi. En écrivant ceci, je m'ape

Une brève histoire du skateboard d'un point de vue téléologique

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  Je me souviens encore de mon premier cauchemar. J'avais cinq ans et je dormais dans la buanderie. Nous étions quatre enfants, et il était difficile de donner une pièce personnelle à chacun. Pour des raisons complexes, qui comprenaient de grosses colères, un cerveau qui marchait trop vite, et l'absolue certitude que je souhaitais déserter ce monde  - ne menaçais-je pas déjà ma famille de m'en aller avec mon sac à dos ? -, on m'avait attribué cette chambre. C'était bizarre, mais elle semblait définir le rapport que j'entretiendrais avec mon corps et mon âme des années plus tard, l'idée d'un taudis qu'il faut apprendre à habiter. Un grand poster de motard qui envoyait des éclairs avec son pot d'échappement couvrait le mur sud au-dessus de mon lit à barreaux. Il y avait également des barreaux à la fenêtre, et si j'avais la hardiesse de grimper sur le bord de mon lit, je pouvais voir le couchant couleur pinard sur les vignes et l'infinie mél