Bardo Thödol

 


 

Faire un blog est démodé. Parler de la mort est démodé. Être soi est démodé. La vie contemporaine pourvoit à tout ce qui est à la mode, à tout ce qui est nécessaire pour rendre bouffis nos visages, nos visages suffisants et pleins d'aplomb. La vérité, si jamais elle existe, reste cachée derrière les lignes. Je peux parler ici comme je le ferais si j'avais cinq ans, en mettant mes doigts dans le nez et en montrant mon cul aux passants. Je peux énoncer une vérité - elle ne concernera que moi, mes poumons remplis de brume alors que je pénètre dans un bosquet à l'automne, le crissement jaloux du gravier quand je ramène la poubelle le lundi après-midi. Toute la merde du monde restera toujours collée à mes basques et je n'en ai rien à foutre. Je n'ai rien à foutre d'être toujours en thérapie à 38 ans, de n'être un modèle pour personne et d'avoir quasiment tout raté. 

Je n'ai rien à foutre d'être l'image sale de tout ce que la génération précédente a bousillé, je n'ai rien à foutre de mon enfance pourrie ni de m'être fait tripoter quand j'étais gamin. Personne ne m'a protégé et personne ne me protégera. Aujourd'hui, je dois faire une démarche volontaire et non-remboursée pour essayer de circonvenir toute cette merde, et il y a encore des gens qui me demandent pourquoi je ne souris pas davantage. Je vous emmerde. Quand je prends mon job de librairie à 10 heures le matin, je fais mon maximum pour que des peigne-culs et des chieuses retraitées se sentent à l'aise et continuent à nous filer leur fric. Est-ce que c'est suffisamment sale de dire cela ? Est-ce une désacralisation suffisante du métier ? Est-ce que je serais plus heureux avec une rente versée sur mon compte ? Oui, je le serais. Et objectivement, si je n'avais pas l'amour de mes filles, un amour de molosse qui te choppe à la gorge, gros comme un de ces dinosaures dont tu dois apprendre le nom vite fait pour pas paraître trop con devant ton enfant, si je n'avais pas cela, je m'ouvrirais le ventre ou je me pendrais.

Putain, il n'y a rien qui va dans ce putain de monde. Hier, j'ai appris le suicide de Christophe Dominici, le seul mec qui m'ait fait regarder un match de rugby en entier. Depuis de trop longs jours, comme je suis branché sur les sites qui recensent les faits divers, je vois les gens se jeter sous des trains ou s'ouvrir la gorge avec des cutters. Ce n'est pas seulement le confinement. C'est une crise du sens sous-jacente à l'ensemble de la société. Une mère de sept enfants boit quinze bières et disparaît près d'un pont de chemin de fer. Un gamin de 16 ans se pend dans les toilettes de son lycée. Un policier retourne son arme de service contre lui. En juin, ils étaient 19 dans la police nationale a avoir franchi le pas (source ici). Alors, qu'est-ce qui fait que notre monde est devenu si merdique ? La toute-puissance des réseaux sociaux, qui rendent instantanément présente toute la douleur de l'univers ? La marchandisation croissante de nos vies ? Notre incapacité à renverser cet ordre ? Je n'en sais trop rien, mais ma propre douleur, ma dernière possession personnelle, est devenue très dure à porter ces derniers-temps. 

Il fait froid. Des brumes chargées de l'odeur des feuilles en décomposition s'accrochent aux buissons le matin, et je regarde ma planche sur laquelle je ne suis pas monté depuis de trop longs jours. Ce n'est pas la chute de l'autre jour qui génère de l'appréhension, ce n'est pas le mauvais temps, ce n'est même pas ce rêve d'il y a deux jours où je parvenais à faire un slide sur le tail. Ce monde m'emmerde, mes névroses m'emmerdent et quasiment tous les êtres humains m'emmerdent. Je suis sur une barque comme Johnny Depp dans Dead Man. Mes illusions se dissipent un peu plus chaque jour dans cette navigation vers les ténèbres. La prochaine fois, je ferai un putain de blog sur les jeux vidéo.

 


 

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